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Ce que cuisiner dit de nous

Ce que cuisiner dit de nous

Du 29/12/2017 au 31/01/2018

Faire à manger est un enjeu politique

 © Arnaud Tracol - Marie Bastille

Faire à manger est un enjeu politique

Le dossier du numéro 97 de CULTURE(S)BIO est consacré à la cuisine en tant qu’outil d’analyse psychologique et de développement personnel. Quel cuisinier, ou non cuisinier, êtes-vous ? L’occasion pour nos deux spécialistes de faire un portrait-robot des mangeurs et des cuisiniers d’aujourd’hui, avec une analyse de la société française contemporaine… polymorphe !

 

L’art-thérapeute culinaire Emmanuelle Turquet et le journaliste et ethnologue de la cuisine populaire Éric Roux (observatoirecuisinespopulaires.fr) s’accordent sur un point : les deux pans de notre vie qui nous rapprochent de l’animal sont le sexe et la nourriture. Pour Éric Roux : « Justement l’homme surcharge culturellement le pan culinaire, pour montrer qu’il n’est pas un animal ». Alors qu’Emmanuelle Turquet rappelle qu’on sait que certains animaux comme les dauphins, certains singes ou oiseaux apprêtent leur nourriture à leur goût afin de pouvoir l’ingérer.

La place de la cuisine, pour essentielle qu’elle soit, a changé dans les foyers français contemporains, leur rythme de vie et leurs priorités ayant muté (lire notre article dans CULTURE(S)BIO n° 97). Mais il serait hasardeux d’en conclure qu’on ne cuisine plus ou qu’on n’aime plus manger.

 

Visibles, invisibles

Éric Roux assure avoir repéré une catégorie vraiment prégnante : des « gens très intéressés par la cuisine, qui en parlent, qui la consomment… mais la font peu. Il y a une tension réelle entre le désir, l’envie et la pratique de la cuisine ». Il y a aussi « ceux qui aiment bien manger mais n’aiment pas faire les courses, donc cuisinent peu, vont manger à la fois dans des fast-foods et de temps en temps dans de vrais restaurants gastronomiques ». Autre sous-catégorie invisible, « ceux qui bossent physiquement, et aiment bien manger ; le midi, ils vont dans des bistrots populaires où ils se paient une vraie cuisine de 9 à 18 €, de temps en temps ils remplacent par un bon sandwich. Le soir chez eux, épuisés, ils ne cuisinent pas, avalent un truc surgelé ou hypersimple. Mais le week-end, ils pratiquent une cuisine chiadée ».

Très visibles, les trentenaires ou quadra qui vont dans les restos branchés, essayent des trucs à la mode comme faire ses conserves ou ses propres yaourts, s’exposent dans les blogs et les magazines. Ils sont selon lui minoritaires.

Alors qu’à l’inverse, on parle peu d’une catégorie assez nombreuse de gens qui vivent à la campagne avec peu de moyens, cultivent leur jardin, échangent leurs productions avec leurs amis ou voisins, font leurs conserves. Ils passent au marché compléter avec certains produits et au magasin de discount pour le reste.

 

Foisonnement

Ce qui est assez nouveau, analyse Éric Roux, c’est que la nourriture est devenue un marqueur social, « toutes les catégories la mettent en avant ». La cuisine américaine est devenue le must have, « la vitrine de qui l’on est », l’espace où l’on reçoit, discute. « On y expose le matériel cher et technique dans lequel on a investi, on va dans des restaurants à la mode, on parle du petit boucher formidable qu’on a découvert pour en mettre plein la vue… » La cuisine est le miroir de la société et de ses valeurs ! « Comme la nouvelle cuisine a été le reflet des événements de mai 68, et a cassé les codes. »

Plus que cuisiner, Éric Roux dit « faire à manger », selon l’expression populaire. « C’est un enjeu politique, martèle-t-il. Cela signe comment on vit ensemble. Qu’est-ce que j’achète, où, à qui ? Quelles sont mes racines, comment j’intègre ma culture dans ma cuisine ? » Il raconte cette jeune femme d’origine turque rencontrée pour une enquête, dont le plat préféré était la blanquette… Mais dans laquelle elle rajoutait des épices pas du tout prévues dans la recette initiale, celles utilisées par ses ancêtres ! « Les immigrés sont une chance pour la cuisine française », ils apportent leurs traditions, leurs plats et font évoluer ceux d’où ils ont replanté leurs racines. À nous le couscous, la pizza et les pâtes, placées au panthéon des plats préférés des Français ! «C’est un véritable foisonnement, aussi riche que la biodiversité ! Il n’y a pas de droit du sang en matière culinaire, juste un droit du sol. » Quelle meilleure illustration des principales fonctions de l’alimentation que rappelle Emmanuelle Turquet : nourrir, réjouir, réunir… et se découvrir ?

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